LA FABRIQUE DES NATIONS AU XIX SIECLE

LA FABRIQUE DES NATIONS AU XIX SIÈCLE

Le sentiment national est bien présent en Europe à l’époque moderne, et les monarchies ont revendiqué dès le Moyen Âge, la différenciation entre les peuples sur lesquelles elles régnaient. Néanmoins, la Révolution française marque sans aucun doute un tournant dans la manière dont est conçue, cultivée et entretenue la conscience nationale, en France et dans les autres pays du continent. Dans cette ère nouvelle qui s’ouvre en 1789, que suspend peut-être la remise en ordre de 1815 mais qui retrouve un élan avec les révolutions de 1848, la souveraineté se situe moins du côté des monarques de droit divin que du côté des peuples eux-mêmes. Au fil des phases de consolidation des appareils d’État, une exigence d’unité et de centralisation est souvent mise en avant aux dépens des particularismes, qu’ils soient linguistiques ou géographiques. Au gré des étapes de la démocratisation des sociétés, le citoyen-soldat devient le meilleur point d’appui du patriotisme et de la cohésion nationale.

Après 1870-1871, avec l’unification de l’Allemagne et de l’Italie, mais aussi avec l’apparition des petits royaumes balkaniques, l’Europe entre dans l’ère de la « nationalisation des masses », pour reprendre le terme de l’historien George Mosse. Désormais, pour les nouveaux États, il devient prioritaire, ici, de « faire les Italiens », là, de consolider la cohésion du Reich contre les « forces centrifuges » catholiques et socialistes, et partout de doter les nouvelles générations de références historiques communes en matière de « grands hommes », de « batailles fondatrices, de paysages et de lieux « emblématiques ». Bref, les États, les savants et les intellectuels travaillent à « produire » du national, du sentiment d’appartenance, du lien collectif. Si la scolarisation des masses par l’école primaire joue ici un rôle essentiel, le service militaire, qui tend à devenir universel, présente également une toute première importance. Il contribue en effet à façonner les jeunes recrues dans un même moule patriote et à uniformiser les comportements et les valeurs. Et cependant, à la fin du siècle, les régions relèvent la tête et font entendre leur spécificité, parfois par des revendications autonomistes (ainsi en Espagne), le plus souvent à travers la réappropriation de leur patrimoine et de leurs traditions populaires, et certains revivals culturels se traduisent dans des mouvements littéraires, tels que le félibrige provençal.

Les dates à retenir :

1790 : début de l’enquête de l’abbé Grégoire sur les patois.

1807 : Discours à la nation allemande de Johann Gottlieb Fichte.

1833 : loi Guizot, faisant obligation à chaque commune française d’entretenir une école.

1847 : Jules Michelet commence à publier son Histoire de la Révolution française.

1863 : échec d’une insurrection pour libérer la Pologne du joug russe, après celui déjà enregistré en 1831.

1875 : le sculpteur Auguste Bartholdi commence à travailler au Lion de Belfort.

1877 : publication du Tour de la France par deux enfants.

1885 : à Rome, début de la construction du Vittoriano, monument dédié à Victor-Emmanuel II, qui sera achevé en 1911.

1894 : création par Sabino Arana du parti nationaliste basque.

1897 : le jubilé de diamant de Victoria, pour ses 60 ans de règne, est célébré dans tout l’Empire britannique.

1907 : à la demande du ministère de l’Instruction publique, Selma Lagerlöf rédige Le Merveilleux Voyage de Nils Holgersson à travers la Suède.

1914 : le folkloriste Arnold Van Gennep organise un premier congrès d’ethnologie et d’ethnographie à Neuchâtel.

1919 (10 septembre)-1920 (4 juin) : traités de Saint-Germain-en-Laye et de Trianon, consacrant l’éclatement de l’Empire des Habsbourg.

1937 : le Musée national des Arts et Traditions populaires est inauguré à Paris.

Votre conférenciER

Professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Strasbourg depuis 2011, N. Bourguinat est spécialisé sur l’Europe du XIXe siècle, de l’époque napoléonienne à l’avènement de la IIIe République. Après avoir d’abord travaillé sur des questions d’histoire économique et sociale telles que les troubles frumentaires (Les grains du désordre, Paris, Édition de l’EHESS, 2002), il s’intéresse désormais l’histoire du voyage, ses écritures et ses pratiques, et à l’histoire des femmes et du genre. À Strasbourg, il a dirigé l’équipe de recherche UR 3400 Arts Civilisation et Histoire de l’Europe et fondé, en 2012, la revue Source(s), dont 16 numéros sont parus. Dernières publications : Dictionnaire historique de la liberté (Nouveau Monde, 2015 – codirigé avec Georges Bischoff) ; « Et in Arcadia ego… » Voyages et séjours de femmes en Italie, 1770-1870 (Éditions du Bourg, 2017) ; La guerre franco-allemande de 1870. Une histoire globale (Flammarion, 2020 – coécrit avec Gilles Vogt).

À lire pour aller plus loin :

Benedict Anderson, L’imaginaire national. Réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme, Paris, La Découverte, 2002 [Londres, 1983].

Patrick Cabanel, La question nationale au XIXe siècle, Paris, La Découverte, 2e éd. 2015 [1997].

Eric J. Hobsbawm, Nations et nationalismes depuis 1780. Programme, mythe, réalité, Paris, Gallimard, 2e éd. 1997 [Cambridge, 1990].

Anne-Marie Thiesse, La création des identités nationales. Europe, XVIIIe-XXe siècle, Paris, Le Seuil, 2e éd. 2001 [1999].