le chef-d’œuvre du Corrège, Jupiter et Io au Kunsthistorisches Museum

le chef-d’œuvre du Corrège, Jupiter et Io au Kunsthistorisches Museum de Vienne

En 1517, la Réforme prônée par Luther semble être un véritable séisme pour les arts : la traduction des textes sacrés contre la présence éclatante des images, la compréhension contre le trafic des Indulgences, la lumière du Nord contre l’obscurantisme romain et pontifical. Pourtant dans les cabinets de curiosités des princes de la Renaissance, véritables embryons des futures collections de peinture, partout en Europe, de pâles Vénus dénudées enchantent l’œil des érudits. Combien de Lucrèze ou de Judith de Cranach l’Ancien pour répondre aux déesses et autres figures mythologiques ornant les cimaises des « studiolo » des princes italiens ?

Les Médicis, les Este, les Gonzague apprécient des œuvres pouvant satisfaire aussi bien l’illustration d’un récit antique que pourvoir à leurs désirs érotiques. Frédéric II de Mantoue sollicite Corrège pour réaliser une suite de scènes mythologiques liées aux amours de Jupiter : Danaé, Io, Ganymède, Léda. Cette commande est aussi l’occasion de satisfaire le goût de Charles Quint pour la peinture italienne dont il vénère les artistes à commencer par Titien et, de surcroît, s’accorder les faveurs de celui qui vient d’être couronné en 1530 à Bologne : Empereur des Romains. En effet, les toiles du Corrège seront des présents ! Corrège va répondre à cette demande avec une habileté et une virtuosité confondantes. Dans le sujet évoqué ici, Io et Jupiter, rappelons que le maître des dieux se métamorphose en nuage pour approcher la prêtresse Io et abriter dans sa nuée les amours interdits d’un dieu avec une mortelle. Quatre éléments de cette histoire constituent des éléments fondateurs du côté purement plastique pour un artiste, ici un peintre : représenter le plaisir des amants, la nudité supposée de ces derniers, la métamorphose à proprement parler de l’un d’eux, l’interdit que l’action suppose. Le chef-d’œuvre est ici absolu. Du corps en lévitation de la jeune femme, du nuage enveloppant et matérialisant le corps du dieu, jeune et presque angélique, jusqu’à la jarre moussue au premier plan offrant une couche végétale aux amants, le peintre parmesan nous permet d’assister à un miracle de sensualité, une vision du désir jusqu’alors inconnue dans l’art occidental et offerte au regard de tous grâce au tableau.

Les Métamorphoses d’Ovide ont passionné le milieu des arts tant les sujets permettaient d’explorer mille façons de représenter un corps humain, le plus souvent dénudé, quelquefois soumis à une transformation : Daphné, Danaé, Arachné, Actéon, Clytie, Narcisse… Cette frénésie de sujets sera peu à peu contrebalancée par des sujets religieux de Suzanne à Marie-Madeleine, au Christ lui-même flagellé ou déposé de la Croix. Concernant l’œuvre magistrale du Corrège, ce sera Sainte Thérèse d’Avila en extase du Bernin qui apparaitra la première sur la liste des avatars, mais d’autres réalisations surprenantes viendront évoquer cette histoire d’amant masqué, ce jeu de rôles équivoque entre la réalité d’un acte, son mensonge et sa représentation.

Les dates à retenir :

1465 - Andrea Mantegna débute les travaux de la première Camera picta digne de ce nom : la Chambre des Époux au palais ducal de Mantoue.

1489 - Naissance à Corrège du peintre Antonio Allegri dit Le Corrège.

1498 - Albert Dürer grave la planche « Le monstre marin » ou « l’Enlèvement d’Amimoné ».

1510 - Première édition lyonnaise des Métamorphoses d’Ovide pour Étienne Gueymard.

1511 - Le Corrège découvre Mantoue et travaille au Palais ducal.

1518 - Le Corrège séjourne à Rome. Raphaël débute à ce moment son ultime chef-d’œuvre : La Transfiguration.

1519 - Le Corrège réalise à son tour une Camera picta, la chambre l’abbesse Giovanna Piacenza au couvent San Paolo de Parme.

1522 - Parmesan décore un cabinet de bains au château de Fontanellato, une Camera picta contant l’histoire de Diane et Actéon.

1530 - Le duc de Mantoue commande à Corrège quatre sujets mythologiques ayant pour sujet les amours de Jupiter. Au même instant, le duc d’Este commande à Michel-Ange une œuvre désormais perdue : Léda et le cygne.

1534 - Mort du Corrège.

MARDI 20 AVRIL
À 10H

Votre conférencier

Stéphane Dubois-dit-Bonclaude est historien de l’art, dessinateur et auteur de plusieurs ouvrages sur les arts appliqués. Il a conduit sa carrière professionnelle à Genève plus sensiblement auprès du Service cantonal de la culture.


À lire pour aller plus loin :

Ovide, les Métamorphoses, Ier/IIème siècle.

Stendhal, Histoire de la peinture en Italie, 1817.

Marguerite Yourcenar, L’œuvre au noir, 1968.

Philippe Morel, Les grottes maniéristes en Italie au XVIe siècle, Éditions Macula, 1998.

Eugenio Riccomini, Corrège, Gallimard, 2005.

Stendhal, Le Corrège, Casimiro, 2017.