DUEL AU SOLEIL. LE VITRAIL CONTEMPORAIN DANS UN MONUMENT HISTORIQUE1

DUEL AU SOLEIL. LE VITRAIL CONTEMPORAIN DANS UN MONUMENT HISTORIQUE

L’incendie de Notre-Dame de Paris en 2019 a ouvert le champ des suggestions au sujet des chantiers de restauration, de restitution ou de modernisation à venir. Après la flèche détruite, le parvis et l’accueil à repenser, c’est au tour des vitraux endommagés qu’il conviendra de remplacer.

En 1937, à Paris, « L’exposition internationale des arts et des techniques appliqués à la vie moderne » est connue pour l’affrontement des Pavillons allemand et russe, élevés face à face, et symbolisant les tensions politiques occidentales qui conduiront l’Europe à s’enflammer deux ans plus tard, ou encore pour la présence du monumental « Guernica » de Pablo Picasso au Pavillon espagnol. On cite moins le Pavillon pontifical et son exposition de vitraux modernes et de leurs cartons, ceux-là mêmes qui prendront place dans les verrières supérieures de Notre-Dame de Paris. Placés en partie en 1938, ils seront déposés à la veille de la Seconde guerre mondiale. À l’issue du conflit, les priorités de la reconstruction rejettent dans l’oubli ce projet. Les règles du jeu ayant changé, Notre-Dame accueillera de paisibles verrières dites d’accompagnement, sans motif, entre 1950 et 1965. L’intérêt pour le vitrail dans ses aspects les plus novateurs dans l’architecture sacrée viendra de l’étranger et sera même antérieur. Les vitraux de la cathédrale de Lausanne, sœur lointaine de celle Laon, sont l’objet d’un concours remporté par Marcel Poncet en 1918. Les premières verrières à peine placées, les paroissiens crient aussi au scandale. Les visions sont trop violentes alors que l’on attendait une imagerie, si ce n’est saint-sulpicienne, plus éthérée.

Pourtant, entre la Suisse, la France, mais aussi l’Allemagne, un changement stylistique est enclenché, accéléré par la reconstruction nécessaire des lieux de culte endommagés ou à rebâtir lors des deux conflits mondiaux. Si les édifices neufs accueilleront par principe des verrières contemporaines, le cas des monuments historiques reste plus délicat car, outre l’architecture ancienne, se superpose un autre problème : art figuratif ou art abstrait. La première tentative de ce type aura lieu loin des centres historiques, dans le Doubs, à l’église des Bréseux. Alfred Manessier propose un ensemble de verrières inobjectives quoique identifiables graphiquement selon le sujet religieux qu’elles illustrent : le Baptême ou la Pénitence par exemple. Cette réalisation exemplaire tracera la voie pour de nombreux chantiers historiques très importants et dont certains se poursuivent actuellement, notamment celui de la cathédrale de Tours. Les édifices sacrés de Metz, Reims, Beauvais, Nantes, Nevers, Strasbourg, Colmar, St-Gervais et Saint-Protais à Paris, Mayence, Cologne, parmi tant d’autres, chacun ayant ses propres particularités, devient sujet à des expériences esthétiques novatrices.

Mais l’aventure des vitraux ne s’arrête pas là, une troisième strate s’ajoute à la situation décrite : des vitraux modernes pour quels types de bâtiments, des vitraux figuratifs ou non, enfin des œuvres de peintres ou des vitraux de maître-verrier ? La gloire de Chagall peut-elle effacer la virtuosité de Max Ingrand ? Sans doute non, tant le premier est connu, mais l’élégance par définition française du second, négligé aujourd’hui, mériterait qu’on s’y attarde davantage.

Les dates à retenir :

1891 : premiers vitraux figuratifs de style résolument moderne, c’est-à-dire Art Nouveau, par Stanislas Wyspianski à l’église Notre-Dame de Cracovie.

1895 : Eugène Grasset échoue au concours, resté sans suite, des verrières de la cathédrale d’Orléans.

1918 : Marcel Poncet remporte le 1er prix du concours pour les vitraux de la cathédrale de Lausanne.

1927 : projet de remplacement non réalisé de 8 verrières hautes du XVIIIe à la cathédrale de Chartres et début de la réfection totale par Jacques Gruber des verrières de la cathédrale de Verdun.

1937 : exposition internationale des Arts et de la Technique à Paris.

1938 : premières verrières figuratives modernes installées puis démontées à la cathédrale Notre-Dame de Paris.

1949 : Alfred Manessier crée les premiers vitraux inobjectifs dans la modeste église des Bréseux.

1950 : consécration lors de l’Année Sainte de de l’église Notre-Dame-de-Toute-Grâce au Plateau d’Assy.

1956 : la chapelle du Saint-Sacrement de la cathédrale de Metz reçoit les premières grandes verrières inobjectives dans un monument historique. Elles sont dues à Jacques Villon.

MARDI 11 MAI
À 10H

Votre conférencier

Stéphane Dubois-dit-Bonclaude est historien de l’art, dessinateur et auteur de plusieurs ouvrages sur les arts appliqués. Il a conduit sa carrière professionnelle à Genève plus sensiblement auprès du Service cantonal de la culture.


À lire pour aller plus loin :

Musée des Arts Décoratifs, Le vitrail français, Éditions des 2 Mondes, 1958.

Yoki, Vitraux modernes en Suisse, Office du Livre, 1971.

François Mauriac et Jean Paulhan, Correspondance 1925-1967, Éditions Claire Paulhan, 2001.

Centre International du vitrail, Les Couleurs du Ciel, Éditions Gaud, 2002.

Stéphane Dubois-dit-Bonclaude, La Compagnie des Obscurs, Éditions de l’Encelade, 2003.

Pierre-Emmanuel Martin-Vivier, Max Ingrand, Éditions Norma, 2009.

Catalogue de l’exposition à l’occasion du 800ème anniversaire de la cathédrale de Reims, Couleur et Lumières, 2012.