En France, le voile intégral a fait son apparition dans l’actualité lorsqu’il a fallu l’interdire, c’est-à-dire au milieu de l’année 2009. Auparavant peu de citoyens se préoccupaient de ce comportement vestimentaire. Paradoxalement, la loi votée en octobre 2010 a eu un effet incitatif. Davantage de femmes ont porté le niqab après son interdiction. La répétition du discours antiniqab dans les médias a créé une attirance pour l’objet interdit, mais a aussi provoqué une violence populaire contre les porteuses du voile intégral, se soldant par un repli sur soi, voire un désir de vengeance. Davantage encore que les réseaux sociaux, les chaines d’information et les politiques ont une grande responsabilité dans la construction du néo-salafisme de rupture.

Ces femmes trouvent dans l’islam rigoriste un moyen de refaire leur vie, de recommencer à zéro, de se racheter une virginité. Beaucoup sont à la recherche d’un nouveau partenaire, irréprochable moralement, incarnant le musulman pieux, « authentique », proche du modèle prophétique. En affichant leur nouvelle affiliation de manière visible avec le niqab, elles pensent montrer des gages de leur piété et de leur totale abnégation. Elles veulent incarner la musulmane idéale dans une démarche de rédemption après avoir fait l’expérience d’une vie dissolue, et ainsi gagner des points sur le marché matrimonial musulman extrêmement concurrentiel.

Certaines sont des fashion victims repenties. Le niqab leur apparaît comme un moyen de libération des contraintes physiques propres aux milieux dans lesquels elles espéraient briller. À la beauté physique inatteignable, elles opposent la beauté intérieure et spirituelle. Mais elles ne renoncent pas pour autant à leur apparence. Elles ne mettent plus leur corps, mais leur piété en valeur. Elles sont par ailleurs admirées dans la micro-société salafiste, dans laquelle elles souhaitent entrer en adoptant ses codes. Malheureusement le public ne comprend pas ces manifestations, alors qu’elles sont similaires à d’autres sous-cultures. Il est nécessaire de sortir du religieux pour analyser un phénomène individualiste propre à la jeunesse occidentale.

Les dates à retenir :

Juin 2009 : lancement de la commission d’enquête parlementaire sur le port de la burqa par le député communiste André Gerin.

11 octobre 2010 : vote de la loi d’interdiction de dissimulation du visage dans l’espace public n°2010-1192.

11 avril 2011 : mise en vigueur de la loi.

1^er juillet 2011 : refus de la Cour européenne des droits de l’home de condamner la France sur la loi.

Juillet 2011 : la même loi entre en application en Belgique.

18 octobre 2017 : le Québec adopte une loi d’interdiction du voile intégral dans les administrations et les transports publics.

23 octobre 2018 : le Comité des droits de l’homme des Nations-Unies estime de la loi viole la liberté de religion.

1^er août 2018 : une loi interdisant la dissimulation du visage est votée au Danemark.

1^er août 2019 : c’est au tour des Pays-Bas d’interdire le niqab dans les bâtiments publics et les transports en commun.

7 mars 2021 : victoire du oui à 51,2% en Suisse au référendum pour l’interdiction de dissimulation du visage.

Votre conférencière

Agnès De Féo est sociologue et réalisatrice de documentaires. Titulaire d’un doctorat dirigé par Michel Wieviorka (École des hautes études en sciences sociales), elle est aujourd’hui chercheuse associée à l’Iremam (Institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulmans), université d’Aix-Marseille. Son travail sur le voile intégral débute en 2002 en Asie du Sud-Est, se poursuit en France et en Europe à partir de 2008. Elle a ainsi suivi l’évolution des femmes en rapport à l’actualité législative et médiatique autour du niqab. Son travail en immersion lui a permis d’entrer dans l’intimité de ces femmes et de capter leur subjectivité par le prisme de sa caméra. Ses travaux de sociologie filmique permettent un accès direct à la réalité du voile intégral.