LES STATIONS LACUSTRES, PATRIMOINE MONDIAL DE L’UNESCO

 LES STATIONS LACUSTRES, PATRIMOINE MONDIALE DE L'UNESCO

Pourquoi les stations lacustres sont-elles inscrites au Patrimoine mondial de l’UNESCO ? Les archéologues cèdent-ils à une mode patrimoniale, pour une simple opération de promotion touristique ?

Non ! Car ces sites littoraux attestés sur l’ensemble du pourtour alpin (en Suisse, mais aussi en Allemagne, en Autriche, en Italie, en France et en Slovénie) livrent des enseignements précieux pour la recherche préhistorique dans son ensemble. Grâce à leur conservation exceptionnelle, ils mettent en lumière les interactions entre l’évolution des cultures et des écosystèmes, du Néolithique jusqu’à l’aube de l’âge du Fer (env. 4300-800 av. J.-C.). De fait, l’étude des villages lacustres permet de restituer de manière très réaliste la vie quotidienne, l’artisanat, l’économie et l’organisation des sociétés des derniers millénaires avant l’histoire. Pour l’étude de la préhistoire récente, l’archéologie des habitats littoraux sert donc de modèle, partout dans le monde.

Évoquant l’impact scientifique actuel des explorations lacustres et les motifs du choix de l’Unesco, la conférence opérera ensuite un retour d’histoire culturelle sur l’époque des premières trouvailles préhistoriques sur les rives des lacs suisses, au milieu du 19e siècle. Aussitôt interprétées, à tort, comme les vestiges de villages érigés sur des plates-formes surplombant les flots, ces découvertes flattaient certains fantasmes très helvétiques, et contribueront à l'affirmation identitaire de l’État fédéral suisse fondé en 1848. Elles stimuleront même la naissance d’un véritable « mythe lacustre », qui exprimait des valeurs progressistes universelles : la démocratie libérale, la neutralité et le pacifisme. Retraçant le développement des recherches archéologiques depuis plus d’un siècle et demi, au fil des combats politiques et des récupérations identitaires, notamment face aux revendications pangermanistes de l’Allemagne nazie, la conférence montrera comment les instrumentalisations idéologiques et les conflits identitaires ont longtemps nui à la reconnaissance publique de l’importance scientifique de l’exploration de ces sites exceptionnels.

Grâce à l’engagement d’une nouvelle génération de chercheurs, une longue procédure entamée en 2004 a finalement été couronnée de succès, avec l’inscription au Patrimoine mondial de l’Unesco en 2011, dont nous fêtons aujourd’hui le 10e anniversaire.

Les dates à retenir :

La datation de ces sites s’échelonne entre env. 4300 et 800 av. J.-C. (Néolithique et âge du Bronze).

1854 : premières découvertes archéologiques ; elles ont été réalisées par le président de la Société des antiquaires de Zurich, à Obermeilen, sur les rives du lac de Zurich.

1867 : la présentation des premières collections lacustres à l’Exposition universelle de Paris contribue à la popularisation de la préhistoire et à la reconnaissance internationale de l’importance de ce patrimoine archéologique.

Dans la seconde moitié du 19e siècle, la fascination exercée par ces découvertes contribue à l’affirmation de l’identité nationale suisse : les « Lacustres » sont élevés au rang d’ancêtres de la Nation, et doivent exprimer les valeurs progressistes de la démocratie helvétique.

2004 : célébration du jubilé des 150 ans des premières découvertes lacustres, avec un grand nombre de manifestations, partout en Suisse. Lancement de la candidature auprès du Centre Patrimoine mondial de l’Unesco.

2011 : une sélection de 111 sites, répartis sur quinze cantons suisses et cinq pays voisins (Autriche, Allemagne, France, Italie et Slovénie), est inscrite au Patrimoine mondial de l’Unesco. Le principal Centre d’interprétation des stations lacustres est le musée et parc archéologique du Laténium (Neuchâtel).

Votre conférencier

Marc-Antoine Kaeser, directeur du Laténium (Parc et Musée d’archéologie, Neuchâtel), est professeur titulaire à l’Université de Neuchâtel. Spécialiste de l’histoire de l’archéologie européenne, auteur de plus d’une centaine de publications scientifiques éditées dans une quinzaine de pays différents, il a enseigné l’histoire des sciences et la préhistoire dans les universités de Bâle, Fribourg, Genève, Zurich, Paris I-Panthéon-Sorbonne, Padova (Italie), Aarhus (Danemark), à l'Ecole européenne de protohistoire, ainsi qu'à l'Institut suédois et à l'Académie du Danemark à Rome.

À lire pour aller plus loin :

Collectif, Les Lacustres, au bord de l’eau et à travers les Alpes, Service archéologique du canton de Berne, 2014.

Pierre Corboud, Gishan Schaeren, Les palafittes suisses, Société d’histoire de l’art en Suisse (Guides d’art et d’histoire de la Suisse, vol. 99), 2017.

Marc-Antoine Kaeser, Les Lacustres. Archéologie et mythe national, Presses polytechniques et universitaires romandes (Le Savoir suisse ; 14), 2004.

Marc-Antoine Kaeser, Visions d’une civilisation engloutie : La représentation des villages lacustres, de 1854 à nos jours (ouvrage bilingue français / allemand). Hauterive, Laténium / Zürich, Schweizerisches Landesmuseum, 2008.