L’invention du paysage : la nature, au commencement, c’est moche
Aujourd’hui, la nature – quand elle est sauvage – est unanimement considérée comme belle. Il n’est qu’à voir la place que lui accorde la publicité pour s’en convaincre. Le zèle avec lequel certains édiles prônent son retour en ville et ordonnent de ne plus couper les herbes folles aux pieds des arbres en est une autre manifestation. Moins grandiloquente il est vrai mais toute aussi quotidienne.
Evidemment, il n’en a pas toujours été ainsi.
Bien au contraire : jusqu’à la révolution industrielle et son corollaire, l’urbanisation rapide, nos ancêtres n’accolaient que des adjectifs dépréciatifs à ce qui nous émerveille aujourd’hui : les plages – où l’on n’allait pas du reste – étaient désolées, stériles, dangereuses. Les montagnes et les forêts lugubres, inquiétantes et dangereuses itou.
Seule trouvait grâce aux yeux de nos prédécesseurs la nature domestiquée, corsetée, apprivoisée, nourricière et récréative : le champ et le jardin.
C’est que – on l’oublie souvent et Duchamp sur ce point avait raison – la beauté est une construction culturelle.
Longtemps, la plage, la forêt et la montagne ont été des marges où le contrôle de l’Etat était faible et le danger omniprésent. On risquait d’y croiser coupe-jarret de toutes sortes et pirates mal intentionnés en quête de victimes à détrousser et/ou à capturer pour les revendre ensuite. Vous en voulez la preuve : plongez-vous ou replongez-vous dans la lecture de l’Odyssée par exemple ; dans celle de l’Âne d’or ou encore – pourquoi pas – dans celle de Pantagruel.
Ci-dessus : un paysage de Toscane, une région-jardin travaillée, aménagée – en un mot anthropisée – depuis belle lurette.