Le poème d'Atrahasis - Chroniques - La bibliothèque de Storia Mundi

La grève qui explique la création de l'homme laquelle conduit au déluge : le poème d'Atrahasis 

Ce texte est un poème akkadien. Il date du XVIIIème siècle av. J.-C. et raconte l'épopée d'Atrahasis, en akkadien ḫaṭṭu ḫasīsu, ce qui signifie le Très Sage.

Cela dit, avant de conter les aventures de ce dernier le poème prend le temps de planter le décor. Parce que le contexte, ça compte évidemment. Enormément même.

Alors, allons-y !

Tout commence par une histoire d'exploitation qui serait banale si elle ne concernait pas que des dieux.

Le poème s'ouvre en effet sur un monde dans lequel cohabitent des dieux qui ne sont pas franchement nés du même côté du périph'.

Les divinités supérieures - les Anunnaki - vivent dans le confort et l'oisiveté grâce au dur labeur des divinités inférieures, les Igigi, lesquelles - ipso facto - en bavent grave pour satisfaire tous les caprices des ci-devants. Ils en conçoivent du reste un vif dépit, les Igigi.

Le lecteur féru de Marx aura tout de suite noté le rôle moteur des inégalités dans cette histoire. Quant à l'habitué de Davos, il aura, lui, remarqué que l'acrimonie revendicative ne date pas d'hier. 

Bref, poursuivons.

Pour améliorer leur condition socio-économique, les Igigi sont prêts à tout : même au conflit social. Aussitôt dit, aussitôt fait : les outils sont jetés au feu et les Igigi, remontés comme des coucous, se dirigent en cortège vers le siège du pouvoir, la demeure d'Enlil, le roi des dieux.


La grève vient de commencer.

Après avoir bruyamment fait part à Enlil de leur exaspération et de leur colère sans omettre toutefois de lui décrire leur triste condition, les Igigi réclament une solution définitive à leur problème.

Les Anunnaki doivent bien comprendre qu'eux, les Igigi, sont bien décidés à poursuivre leur mouvement social jusqu'à ce que leurs justes revendications soient satisfaites.

Les Anunnaki se grattent la tête en se balançant des regards obliques. Ça va être compliqué, se lamentent-ils... il faut trouver une solution rapidement. Pourquoi pas en parlant tous ensemble comme de grandes personnes ? 

Les dieux réunis ont alors une idée de génie (pouf pouf) : ils vont faire appel à des travailleurs venus d'ailleurs : des immigrés ? des travailleurs détachés alors ? Non plus ? Mais non, évidemment c'est impossible : les dieux sont seuls sur terre à ce moment-là.

Il faut donc trouver autre chose... mais quoi ? se désespèrent les dieux. Et puis, comme souvent, des sombres profondeurs du désespoir jaillit la lumière : cette autre chose, ce sera l'homme propose le dieu Ea ! 

Vous imaginez la suite n'est-ce pas ?

Avec un peu de terre et de sang, les dieux créent sans tarder une paire d'hommes (et de femmes, c'est important pour la suite).

A peine créés, les hommes se mettent aussitôt au travail. Les dieux sont aux anges : ils se croient même au paradis, les Igigi surtout, eux qu'un rien impressionne (faut voir d'où ils viennent aussi).

L'homme, franchement, c'est une trouvaille. Bravo Ea. Il est dur à la tâche, l'homme. Et il ne se plaint jamais, lui. Il travaille, il travaille. Une merveille, on vous dit.

Sauf que.

Sauf qu'en fait, l'homme, c'est quand même pas la panacée. Non, franchement. Ea, franchement... C'est pas qu'il refuse de travailler. Bien au contraire.

Mais c'est qu'il pullule. C'est une véritable infestation. Et puis il jacasse. Il braille. Il hurle. Il rit. Il pleure même parfois, la nuit, quand il a fait un cauchemar et qu'il cherche sa maman. Impossible de se reposer dans ces conditions.

C'est pas interdit par la convention de Genève, la privation de sommeil ?

Bref, les dieux déjà déchantent. Partager le monde avec les Igigi, passe encore, mais avec des hommes ? L'enfer...

L'agacement s'est mué en exaspération et l'exaspération se fait rage. Les dieux se décident pour une solution radicale : l'extermination. Aussi bombardent-ils leurs pauvres créatures des pires calamités : les épidémies, la famine...

Mais rien n'y fait.

C'est qu'en sous-main, Ea, qui s'est entiché de sa création, se débrouille pour rencarder son protégé, Atrahasis, le Très Sage. Ensemble, le dieu et le Très Sage déjouent toutes les attaques portées contre les hommes.

A court d'idées, excédé, furieux, Enlil se résout alors à sortir l'artillerie lourde, l'arme atomique des dieux courroucés : le déluge. Mais là encore, Ea parvient à tuyauter Atrahasis en douce (en songe pour être précis).

La suite vous la connaissez. Elle a été reprise dans l'Ancien Testament quasi telle quelle. Seuls les noms des personnages principaux ont été changés pour tenir compte des spécificités du marché local. Un peu comme dans ces films produits en France et repris aux USA.

La formule de Lavoisier s'applique aussi aux grands mythes : rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.

Ci-dessous : un détail du Déluge qu'a peint Michel-Ange pour décorer la chapelle Sixtine. L'observateur attentif verra que le peintre avait une piètre idée de la nature humaine comme en témoignent les scènes de luttes qui donnent un sens encore plus tragique à la catastrophe.