La polychromie de l’architecture gothique

La polychromie de l’architecture gothique : quand les cathédrales étaient peintes

Après une longue éclipse, la polychromie de l’architecture médiévale a été redécouverte au cours du XIXème siècle à la suite de celle des temples grecs. Viollet-le-Duc, l’un des protagonistes de ce retour de la couleur, décrivait la peinture décorative comme « une fée qui fait le bien ou le mal mais ne demeure jamais indifférente ». En effet, peu coûteuse, utilisant parfois la couleur naturelle de l’enduit, et faisant généralement appel à des pigments bon marché, elle suggère à peu de frais une construction plus soignée et masque l’hétérogénéité des matériaux. Elle crée une harmonie d’ensemble avec les autres arts, inclut les représentations historiées, sculptées ou peintes, dont elle peut apparaître comme le complément, offre un cadre aux vitraux, et accroît la luminosité.

Des pierres feintes ont pu être représentées sur des moellons enduits, sur des briques ou sur des pierres de taille, tout au long de la période gothique, dans les édifices prestigieux comme dans les plus modestes. La polychromie permet d’offrir un parement régulier sans problème de disponibilité du matériau, de transport, de taille, de levage ou de mise en œuvre. Son intérêt est à la fois technique, économique et esthétique. Si la dialectique entretenue entre polychromie et architecture fluctue selon les lieux et au fil des siècles, la matière picturale demeure souvent simple. Des décors plus complexes associant de nombreux motifs avec des couleurs vives et brillantes, soutenant une abondante dorure, sont généralement limités à des espaces réduits, tels que des chapelles au sein d’édifices prestigieux et à des œuvres d’exception comme la Sainte-Chapelle de Paris. La restauration récente de la cathédrale de Chartes permet d’observer une relecture de la structure d’une grande subtilité malgré sa simplicité caractéristique du XIIIe siècle. Les exemples de la fin du Moyen Âge dessinent deux tendances opposées, l’une, très épurée dans laquelle les articulations demeurent sobrement revêtues d’une tonalité conforme à celle de la pierre véritablement employée, et l’autre, exubérante, mêlant, selon les cas, couleurs soutenues et jeux optiques audacieux, parfois en opposition marquée avec la structure comme dans la cathédrale de Quimper. Longtemps négligée, abusivement décapée ou restituée, la polychromie nécessite une étude attentive de son image et de sa matière pour en comprendre la grande richesse et lui reconnaître sons statut d’œuvre d’art.

Les dates à retenir :

XVIe siècle : La polychromie perd de son importance en raison de l’influence de la Réforme protestante et de l’esthétique de la Renaissance.

Après la Révolution, au début du XIXe siècle, les églises sont décrites comme de grands cercueils vides.

1830 : Vitet, premier inspecteur des Monuments historiques, appelle à redécouvrir les polychromies affleurant sous les badigeons.

1836-1863 : Restauration de la Sainte-Chapelle de Paris

1864 : Parution de l’article « Peinture » de Viollet-le-Duc dans son Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle.

Au cours des années 1920 : Le Mouvement moderne prône la blancheur et le rejet des ornements.

1989 : Lors des Entretiens du Patrimoine, Architecture et décors peints, la question du décapage abusif des édifices français est soulevée.

1988-1999 : Restauration des polychromies de la cathédrale de Quimper

À partir de 2008 : Restauration des polychromies de la cathédrale de Chartres.

Votre conférenciÈre

Anne Vuillemard-Jenn est docteur en histoire de l’art, enseignante et chercheur indépendant. Membre du Groupe de Recherches sur la Peinture Murale (www.gpm.asso.fr), elle poursuit des recherches sur la polychromie architecturale et la peinture monumentale.

À lire pour aller plus loin :

Anne Vuillemard « Le Pilier des Anges de la cathédrale de Strasbourg : un cas de polychromie partielle ? », Bulletin de la Société des amis de la cathédrale de Strasbourg, 27, 17-34.

Anne Vuillemard, « Les polychromies architecturales de la collégiale Saint-Quiriace de Provins», Bulletin monumental, 2006, 164-3, p. 271-280.

Anne Vuillemard-Jenn, « La polychromie de l’architecture est-elle une œuvre d’art ? De sa redécouverte à sa restauration : l’importance de la couleur dans l’étude des édifices médiévaux », in Gómez Urdañez C., (Dir.), Sobre el color en el acabado de la arquitectura histórica, Presses de l’Université de Saragosse, 13-46.

Anne Vuillemard-Jenn, « La polychromie de l’architecte flamboyante : vers une relecture de la structure » dans Stéphanie Diane Daussy (dir.), L'architecture flamboyante en France. autour de Roland Sanfaçon, Presses Universitaires du Septentrion, 2020, p. 446-459.