Les Grecs (et les Romains) portaient aussi des noms de Sioux
Dans un Western, le spectateur - même le moins vif d'esprit - peut distinguer sans peine et sans effort un Indien d’un Cowboy. Non content de s’exprimer dans un français d’une affligeante pauvreté, l’Indien porte - outre des plumes - un nom dont l’inspiration peut nous paraitre passablement terre-à-terre. Du genre Taureau assis, Cheval fou ou Visage tempête.
Dans la langue du Peuple des Sept Feux (Oceti Sakowin Oyate en vo), cela donne, respectivement, Tatanka-Iyotake, Tashunca-Uitco et Ito-Na-Gaju.
Le premier et le troisième appartenaient à la tribu des Lakotas Hunkpapas, le second à celle des Lakotas Oglalas, tribus que nous rassemblons sous le vocable de Sioux.
On l’ignore souvent mais la tribu, justement, est restée pendant très longtemps un élément central de l’organisation sociale du monde antique. Y compris en Grèce et à Rome. Y compris à l’orée de l’époque classique.
A Athènes par exemple, il faut attendre les réformes de Clisthène, en 508-507 av. J.-C., pour que soient cassées définitivement les vieilles solidarités tribales. A Rome également l’appartenance à une tribu était un élément déterminant de l’identité du citoyen. C’est pourquoi les nouveaux citoyens que Rome intégrait en nombre, en très grand nombre même, étaient rattachés à l’une des trente cinq tribus que comptait l’Vrbs.
Mais revenons à nos taureaux - qu’ils fussent assis ou furieux - si vous le voulez bien pour remarquer que Grecs et Romains portaient eux aussi des noms dont l’inspiration peut paraitre passablement terre-à-terre à ceux qui comprennent encore les idiomes que parlaient les Anciens. Il est vrai qu’aujourd’hui, les enfants commencent à ne plus apprendre le grec dès leur plus jeune âge.
Quoi qu’il en soit de cette amer constat, quelques exemples serviront à illustrer notre propos.
Le nom du susdit Clisthène - en grec Κλεισθένης, Kleisthénês - ne signifie rien d’autre que Force Glorieuse. Force Glorieuse ? Ca fait penser à GI Joe. Ou à Georges W. Bush.
Télémaque*, l’archer, le fils d’Ulysse, est celui Qui combat de loin ; Périclès** est Entouré de Gloire (la gloire encore) et Demosthène***, le bien nommé, est Force du Peuple.
Evidemment, les Romains n’étaient pas en reste comme nous l’allons voir sans plus tarder. Le cognomen (le prénom si l’on veut) Cicéron signifiait quelque chose comme Verrue (ou Pois Chiche) ; Rufus est le Rouge (ou le Roux) et Octave est le Huitième.
Que retenir de tout cela si ce n’est que traduire (ou ne pas traduire au contraire), le nom des individus dont on veut faire l’histoire peut contribuer à rendre à ces derniers toute leur surprenante et rafraîchissante étrangeté****. C’est à dire, toute leur saveur, leur couleur et leur épaisseur.
Photo : sur cette fresque samnite (lesquels n’étaient pas xylophages) qui provient de la nécropole de Nola et date du IVème siècle av. J.-C., on peut voir que ces fiers guerriers qui obligèrent les légionnaires romains à défiler sous les fourches caudines affectionnaient - tout comme les peuples Lakotas - le port des plumes.
* Τηλέμαχος, Têlémakhos.
** Περικλῆς, Periklễs.
*** Δημοσθένης, Dêmosthénês.
**** Parfois, mieux vaut éviter cela dit. L’auteur de ces lignes en veut pour preuve, ces vers de mirlitons qu’il est bien plus agréables d’écouter rien sans comprendre :
Nous vivons tous dans un sous-marin jaune,
Sous-marin jaune, sous-marin jaune,
Nous vivons tous dans un sous-marin jaune,
Sous-marin jaune, sous-marin jaune
Et nos amis sont tous à bord
Etc.