le temps des guerres et des Révolutions en Russie 1904 - 1905

le temps des guerres et des Révolutions en Russie 1904 - 1921

Au début du vingtième siècle, la Russie est arrivée à un tournant de son histoire. Le pays se modernise rapidement : le servage a été aboli un demi-siècle plus tôt, l’industrialisation progresse, la bourgeoisie urbaine se développe et le pays impose même ses produits sur les marchés internationaux... pourtant à l’intérieur, face à un régime archaïque, la contestation se durcit. Nicolas II choisit alors de lancer la Russie dans la guerre contre le Japon. La recette est bien connue : l’aventure militaire doit souder la nation derrière son monarque... mais voilà, Nicolas II avait sous-estimé son adversaire et la Russie va se retrouver plongée à partir de l’année 1904 dans une impressionnante suite de guerres et de révolutions qui vont la transformer complètement : guerre russo-japonaise (1904-1905), révolution de 1905, 1ère guerre mondiale (1914-1918), révolution d’Octobre et guerre civile (1917-1921) !


Les dates à retenir :


Aux origines de la Révolution :

1790 : Alexandre Radichtchev publie le Voyage de Pétersbourg à Moscou dans lequel il dénonce la corruption et l'inefficacité de l'administration impériale. Catherine II le condamne à mort puis commue sa peine en relégation en Sibérie.

1814 : Après avoir vaincu la Grande Armée en Russie en 1812 puis en Allemagne en 1813, les troupes russes envahissent la France et entrent dans Paris.

1816 : Fondation de l’Union du Salut, première organisation contestataire en Russie.

1821 : Création des Sociétés secrètes du Nord et du Sud.

1825 : Echec du soulèvement décembriste à Saint-Pétersbourg.

1842 : Nikolaï Gogol publie les Ames mortes où il dénonce à son tour les travers de la bureaucratie russe.

1857 : Alexandre Herzen crée à Londres le Kolokol, journal révolutionnaire.

1861 : Naissance du mouvement révolutionnaire Jeune Russie.

1862 : Naissance de la société secrète révolutionnaire Zemlia i Volia (Terre et Liberté).

1863 : Nikolaï Tchernychevski publie Que faire ?

1866 : Attentat de l’étudiant Karakozov contre le tsar.

1868 : Sergeï Netchaïev écrit Le catéchisme du révolutionnaire.

1872 : Le Kapital de Karl Marx est traduit et publié en russe.

1878 : Vera Zassoulitch tente d'assassiner le général Trepov, préfet de Saint-Pétersbourg. Arrêtée et jugée, elle est acquittée.

1879 et 1880 : Soloviev et Khaltourine tentent d'assassiner le tsar Alexandre II.

1881 : Alexandre II est assassiné lors du sixième attentat perpétré contre lui.

1882 : L'assassinat du tsar est suivi de pogroms. La même année publication d'un Statut des Juifs.

1883 : Plekhanov crée le groupe marxiste Libération du Travail.

1887 : Le frère aîné de Lénine participe à une tentative d'assassinat contre le tsar Alexandre III.

1895 : Vladimir Ilitch Oulianov, le futur Lénine, est arrêté pour ses activités politiques.

1897 : La journée de travail est limitée à 11h30.

1898 : Naissance du parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR) au congrès (clandestin) de Minsk.

1902 : Les courants terroristes et nihilistes donnent naissance au parti socialiste-révolutionnaire (SR).

1902 : En référence à Tchernychevski, Lénine publie à son tour Que faire ? Dans ce texte il théorise l'organisation militaire du parti révolutionnaire qui doit devenir « l’avant-garde du prolétariat ».

1903 : Au congrès de Londres, le parti social-démocrate se divise entre mencheviks et bolcheviks. Ces derniers - majoritaires au congrès - adhèrent aux théories de Lénine sur la nature et le rôle du parti qui doit être constitué de révolutionnaires professionnels. Cependant, en Russie, ce sont les mencheviks - partisans d'une large union des oppositions - qui sont majoritaires.

1903 : Pogroms à Kichinev et à Gomel.


D'une guerre à l'autre :

1904 : Les Japonais attaquent Port-Arthur et déclenchent ainsi la guerre russo-japonaise. La garnison résiste un an avant de capituler.

1904 : Plehve, le ministre de l’Intérieur réactionnaire, est assassiné.

9 janvier 1905 : « Dimanche rouge » de Saint-Pétersbourg : une foule de manifestants entraînés par le pope Gapone – un agent de l’Okhrana, la police secrète – est mitraillée par la troupe.

Février 1905 : Défaite russe de Moukden en Mandchourie.

Mai-juin 1905 : un premier soviet – pouvoir insurrectionnel établi par des ouvriers révolutionnaires – se constitue à Ivanovo.

15 mai 1905 : Désastre naval à Tsushima. La flotte russe est détruite.

14 juin 1905 : mutinerie du cuirassé Potemkine.

25 août 1905 : Le traité de Portsmouth met fin au conflit avec le Japon qui sort grand vainqueur de la guerre. 

Octobre 1905 : Grève générale qui paralyse une bonne partie du pays et constitution d’un Soviet à Saint-Pétersbourg ; l’opposition libérale se constitue en parti constitutionnel démocrate (KD ou « cadet ») ; le 17 octobre (calendrier julien), Nicolas II promet une constitution garantissant les libertés fondamentales et instituant une Douma d’Empire (un Parlement) élue par tous les contribuables âgés de vingt-cinq ans. Faute d’un parti révolutionnaire suffisamment puissant et organisé, l’agitation se calme après qu’un ultime mouvement insurrectionnel a été réprimé à Moscou en décembre.

1906 : Première Douma, composée d’une majorité de notables libéraux (27 avril – 8 juillet). Elle est dissoute quand elle réclame que les ministres soient responsables devant elle. Réforme de Stolypine (9 novembre) autorisant les paysans à quitter la communauté rurale traditionnelle.

1907 : Deuxième Douma (20 février-2 juin). Elle est dissoute quand elle réclame le suffrage universel.

Troisième Douma (1er novembre 1907 – 9 juin 1912) Élue après une modification du code électoral favorable aux propriétaires ruraux, elle est surnommée la « Douma des Seigneurs » et dure les cinq ans de son mandat.

1910 : Une loi confirme l’oukaze de 1906 relatif à la réforme agraire. Stolypine veut encourager la formation d’une petite paysannerie propriétaire, dominante socialement et politiquement, dont il espère qu’elle fournira à terme une majorité électorale suffisamment large au régime tsariste.

1911 : Assassinat de Stolypine à Kiev (18 septembre).

1912 : Massacre de la Léna, la troupe tire sur des ouvriers grévistes. Parution à Prague du premier numéro de la Pravda, le journal du parti bolchevik.

Quatrième Douma (15 novembre 1912 – 25 février 1917). L’opposition y est majoritaire.

1913 : Procès Beyliss à Kiev. Un Juif accusé d’un meurtre rituel est acquitté. L’antisémitisme est alors très virulent dans l’Empire où des groupes nationalistes, les « centuries noires », ont organisé plusieurs pogroms en Ukraine et en Biélorussie.


La guerre, mère de la Révolution ?

1914 : En décrétant le 30 juillet la mobilisation générale russe, qui va mettre en mouvement l’engrenage des mobilisations générales, le tsar transforme la crise austro-serbe en crise européenne. L’Allemagne puis l’Autriche-Hongrie déclarent la guerre à la Russie les Ier et 6 août. Défaites des généraux Samsonov et Rennenkampf à Tannenberg et aux Lacs Mazuriques.

1915 : Défaites d’Augustovo. Les Russes doivent évacuer Galicie et Pologne.

1916 : Offensive Broussilov (juin) ; elle demeure sans lendemains.

17 décembre 1916 : Assassinat de Raspoutine.

1917 : Révolution de février (selon le calendrier julien) et abdication du tsar (3 mars).

Février 1917 : La révolution éclate à Petrograd. Le rationnement du pain (16 février), la grève de l’usine Poutilov (18 février), celle des transports urbains (24 février) et la répression engagée le 26 conduisent le tsar à dissoudre la Douma le 27 alors que se constitue le même jour le Soviet (conseil révolutionnaire d’ouvriers et de soldats mutinés) de Petrograd. Alexandre Kerensky, l’un des leaders de l’opposition, réagit le 28 en constituant un Comité provisoire de la Douma qui se transforme en gouvernement provisoire le 2 mars quand on annonce l’abdication du tsar et quand on apprend le refus du grand-duc Michel d’assumer la régence. Les difficultés nées de la guerre, les fragilités de l’économie russe, le discrédit dans l’aristocratie de la famille impériale qui se voit reprocher les faveurs accordées à Raspoutine, les rigueurs de la vie quotidienne expliquent cette explosion révolutionnaire qui apparaît largement spontanée. Le gouvernement provisoire présidé par le prince Lvov prévoit pour la fin octobre des élections permettant de désigner une Assemblée constituante. L’octroi des libertés fondamentales et l’amnistie pour les condamnés et les exilés politiques créent un paysage politique nouveau. Dans un premier temps, le gouvernement provisoire et les soviets qui se forment partout en Russie ne s’opposent pas et la Russie continue la lutte contre les Empires centraux au sein de l’Entente.

3 avril 1917 : Retour de Lénine à Petrograd. Le chef du courant bolchevik, qui est alors à peu près inconnu et ne dispose que de quelques milliers de militants, se prononce d’emblée pour « la paix immédiate » et pour le transfert de « tout le pouvoir aux soviets ». Il est en effet convaincu qu’une Assemblée constituante élue au suffrage universel ne peut conduire à la révolution sociale radicale qu’il appelle de ses vœux alors que la « minorité agissante » bolchevique peut espérer prendre le contrôle des soviets.

5 mai – 7 juillet 1917 : Second gouvernement provisoire. Il brise, les 4 et 5 juillet, l’insurrection populaire déclenchée par les marins de Cronstadt et profite de l’événement pour réprimer les menées bolcheviques. Lénine et Staline doivent passer dans la clandestinité. Le prince Lvov démissionne et laisse à Kerensky la direction du gouvernement provisoire.

25 au 25 août 1917 : Échec de la tentative de putsch militaire du général Kornilov. Les bolcheviks sont alors en situation de reprendre l’initiative et Trotski, rentré en Russie en mai puis emprisonné en juillet, est élu, après avoir été libéré et avoir pris la tête de la résistance au coup d’État, président du Soviet de Petrograd le 25 septembre.

24 au 24 octobre 1917 : Insurrection bolchevique à Petrograd. Elle est déclenchée avant les élections à la Constituante et au moment où se réunit dans la capitale un Congrès panrusse des Soviets qui pourra donner une caution « nationale » au coup de force. Alors que les bolcheviks s’emparent aisément de Petrograd mais maîtrisent plus difficilement la situation à Moscou, Lénine fait entériner par le Congrès des Soviets les décrets sur la paix et sur la terre. Un nouveau gouvernement provisoire exclusivement bolchevique est constitué sous le nom de conseil des commissaires du peuple. Il est présidé par Lénine et Trotski se voit confier les affaires étrangères. Dès le 15 décembre, un armistice est conclu avec les puissances centrales à Brest-Litovsk où la paix sera signée le 3 mars 1918, après que les Allemands auront repris l’offensive le 18 février.


Le coup d’état bolchevik et la guerre civile

7 décembre 1917 : Création de la Tchéka, la police politique du nouveau régime. Elle sera, sous les ordres de Djerzinski, l’instrument de la terreur révolutionnaire.

5 janvier 1918 : Réunion et dissolution immédiate de l’Assemblée constituante élue deux mois plus tôt.

21 janvier 1918 : Annulation des emprunts contractés par l’ancien régime tsariste.

27 février 1918 : Création de l’Armée rouge.

7 mars 1918 : Le VIIe Congrès du parti bolchevik le transforme en Parti communiste.

12 mars 1918 : Le gouvernement s’installe à Moscou.

17 juillet 1918 : Assassinat de la famille impériale à Iekaterinenburg.

19 juillet 1918 : Promulgation de la première constitution soviétique qui donne à la « classe ouvrière » un poids électoral cinq fois supérieur à celui de la paysannerie.

Été 1918 : Les bolcheviks éliminent leurs anciens alliés socialistes-révolutionnaires qui se sont dressés contre eux à partir du mois de juillet. C’est durant cette période que se met en place le « communisme de guerre » impliquant la nationalisation de tous les secteurs de l’économie et la généralisation des réquisitions.

2 août 1918 : Les Anglais occupent Arkhangelsk sur la mer Blanche.

25 octobre 1918 : Note alliée aux États neutres organisant le blocus de la Russie qui s’enfonce dans la guerre civile opposant l’Armée Rouge organisée par Trotski aux Armées blanches contre-révolutionnaires.

8 novembre 1918 : Le pouvoir bolchevik dénonce le traité de Brest-Litovsk.

22 janvier 1919 : La conférence organisée dans l’île des Princes, en mer de Marmara, ne permet pas de réconcilier Rouges et Blancs.

2-6 mars 1919 : Lénine constitue à Moscou la IIIe Internationale qui, dirigée par le Komintern, doit rassembler tous les partis socialistes se reconnaissant dans la révolution bolchevique et devenir ainsi l’instrument de la révolution mondiale que les dirigeants soviétiques croient alors imminente.

Avril 1919 : L’Armée blanche de l’amiral Koltchak venue de Sibérie est vaincue sur la Volga et son chef sera fusillé à Irkoutsk en février 1920.

Octobre 1919 : L’Armée blanche du général Denikine est stoppée à Voronej.

Octobre-décembre 1919 : L'offensive du général blanc Youdénitch échoue devant Petrograd.

1920 : Publication de Nous autres de Evgueni Zamiatine

16 janvier 1920 : Les Anglais et les Français mettent un terme au blocus imposé à la Russie bolchevique.

Avril 1920 : Offensive en Ukraine de l’Armée blanche de Wrangel, combinée avec le déclenchement de la guerre russo-polonaise.

mai 1920 : Prise de Kiev par les Polonais puis contre-offensive soviétique conduite par Toukhatchevsky et Boudienny qui vont jusqu'à Varsovie où ils sont stoppés en août grâce à l’intervention de la mission militaire française conduite par le général Weygand.

1920-1921 : En 1920, l’Azerbaïdjan et l’Ukraine rejoignent la République Fédérative des Soviets de Russie. En 1921, la Biélorussie, la Géorgie et l’Arménie font de même à la suite de l’intervention de l’Armée rouge, venue soutenir les partis bolcheviks locaux.


La victoire bolchevik : vers la normalisation ?

En mars 1921 : La révolte des marins de Cronstadt est écrasée par Trotski. La même année, l’Armée rouge écrase en Ukraine les anarchistes de Nestor Makhno. La même année toujours, lors du Xe Congrès du Parti, Lénine lance la NEP (Nouvelle Politique économique) pour s'appuyer sur le secteur privé. La NEP sauve l'économie russe d'un effondrement complet. C'est un indéniable succès.

28 mars 1921 : Le traité de Riga fixe les frontières du nouvel État polonais et de la Russie soviétique.

26 février 1922 : Confiscation des biens d’Église et début d’une violente campagne antireligieuse.

3 avril 1922 : Staline devient secrétaire général du Parti.

30 décembre 1922 : Naissance de l’Union des républiques socialistes soviétiques.

21 janvier 1924 : Mort de Lénine.


1ère partie

2ème partie

Votre conférencier

Laurent Lanfranchi est historien et directeur de Storia Mundi.

À lire pour aller plus loin :


Essais :

Norman Cohn, Les Fanatiques de l'Apocalypse : millénaristes révolutionnaires et anarchistes mystiques au Moyen âge, traduction revue par l'auteur et complétée par Maurice Angeno, Payot, Bibliothèque historique, 1983

Friedrich Engels, La guerre des paysans en Allemagne. Introduction, traduction entièrement revue et notes d’Émile Bottigellli, Editions Sociales, 1974

Boris Porchnev, Les soulèvements populaires en France de 1623 à 1648, S.E.V.P.E.N., Paris, 1963 ; réédité sous le titre Les soulèvements populaires en France au XVIIe siècle, Flammarion, 1972

François-Xavier Coquin, La Révolution russe manquée 1905, Complexe, 1999

Marc Ferro, La Révolution de 1917, 2 vol., Paris, Aubier, 1967

Nicolas Werth, 1917 : la Russie en révolution, Gallimard, coll. Découvertes, 1997

Martin Malia, Alain Besançon, Comprendre la révolution russe, Points, 2001

Orlando Figes, La révolution russe : 1891-1924, Gallimard, 2009

Henri Arvon, 1921 la révolte de Cronstadt, Complexe, 1988


Romans, récits, témoignanges :

John Reed, Dix jours qui ébranlèrent le monde, Éditions sociales, 1986

Evegueni Zamiatine, Nous autres

Isaac Babel, Cavalerie rouge

Mikhaïl Boulgakov, La garde blanche

Mikhaïl Boulgakov, Cœur de chien

Mikhaïl Cholokhov, Le Don paisible

Arthur Koestler, le zéro et l’infini

Boris Pasternak, Le docteur Jivago

Alexandre Soljenitsyne, La roue rouge