Etats arabes en faillites : le retour de l'Histoire ?

Etats arabes en faillite :

retour de l’Histoire ?

Irak, Syrie, Liban….la liste des Etats arabes en faillite est imposante et menace directement l’Europe. Echec du confessionnalisme politique au Levant et en Irak sur fond de guerre confessionnelle entre sunnites et chiites… c’est tout un modèle étatique qui sombre dans un chaos généralisé. Or, ce modèle est celui de l’Etat-nation, importé par les puissances européennes au moment de la colonisation de ces pays par la France et la Grande-Bretagne. La notion de nation, comme fondement de la légitimité du pouvoir, venait en remplacement de la religion selon la conception ottomane, dans des sociétés où l’idée de ce qu’est une nation était souvent réduite à quelques élites. Ces Etats sont des créations coloniales qui se sont souvent imposés contre des majorités qui ont été vaincues militairement. Ce fut particulièrement vrai pour l’Etat irakien et l’Etat syrien.

Alors que la faillite de ces Etats a entraîné des guerres civiles inexpiables, des guerres, déclarées ou non, entre pays voisins et une internationalisation des conflits impliquant de nombreux acteurs, faut-il, pour tenter de résoudre les graves crises, militer en faveur du renforcement des Etats en place ?

La dégénérescence confessionnelle des Printemps arabes de 2011 illustre pourtant l’incapacité des systèmes politiques en place à répondre aux demandes légitimes de la société civile de chaque pays. Partout, l’usage de la force a été la réponse du pouvoir tandis qu’une absence de solution se faisait jour de façon croissante. Au-delà des régimes en place, ne faut-il pas voir ces Etats comme la cause principale du chaos et proposer des solutions qui permettent de répondre aux mouvements de contestation qui sont sans issue possible dans le contexte actuel ? Il ne s’agit pas de pointer un « péché originel » lié à la genèse coloniale des institutions étatiques. Mais on ne construit pas un vivre-ensemble contre les majorités en s’appuyant sur les seules minorités. Le djihadisme n’est pas né de rien. Il s’enracine dans des contextes où la faillite actuelle de l’Etat et sa conception sont liées.

Les dates à retenir :


1788-1840 : L’émir Béchir II, gouverneur d’une région qui couvre l’actuel Liban et la Galilée, obtient une première autonomie régionale au sein de l’Empire ottoman.

1908 : Révolution des Jeunes-Turcs.

1916 : Accords Sykes-Picot : des négociations secrètes ont lieu entre France et le Royaume-Uni prévoyant le partage du Proche-Orient en zones d’influence à la fin de la première guerre mondiale.

1917 : Déclaration Balfour : la Grande-Bretagne s’engage à la création d’un foyer national juif en Palestine.

1918 : Défaite des Ottomans. Les Britanniques envahissent le Liban et la Syrie.

1922 : Fin de l’Empire ottoman et du califat sunnite : naissance de la Turquie. Le traité de Sèvres scelle le partage de l’ancien Empire ottoman : la Syrie et le Liban sont placés sous mandats français, la Palestine, la Transjordanie, L’Irak sous mandat britannique.

1926 : A l’initiative du haut-commissaire français, une constitution républicaine est promulguée au Liban. Les bases du système politique confessionnel, de nos jours encore en vigueur, sont jetées.

1932 : Indépendance de l’Irak. Le pouvoir est formellement remis entre les mains de la dynastie hachémite, mais la tutelle britannique demeure. 

1936 : Independence du Liban.

1943 : Indépendance de la Syrie. Le président de la nouvelle république, Choukri Bey al-Kouatli, obtient le retrait complet des forces françaises de son territoire en 1946.

1947 : L’UNSCOP (Comité spécial des Nations unies sur la Palestine), crée par l’ONU, approuve le plan de partage de la Palestine entre juifs et arabes palestiniens.

14 mai 1948 : fin du mandat britannique en Palestine ; proclamation de la naissance de l’état d’Israël. Affrontement entre les forces paramilitaires juives et les Palestiniens. Les armées arabes, composées de soldats Egyptiens, Transjordaniens, Syriens, Irakiens et Libanais interviennent en support des arabes de Palestine. Nakba palestinienne : expulsion par l’armée israélienne d’environ 800 000 palestiniens, expropriés de leurs terres et chassés dans les pays voisins.

1949 : Victoire d’Israël dans le premier conflit israélo-arabe.

1952 : Après le renversement du Roi Farouk par un putsch militaire, le Colonel Gamal Abdel Nasser devient le Président de l’Egypte. Il se pose en leader du monde arabe laïc et du Tiers-Monde après la Conférence de Bandung (1955) et des non-alignés avec la Yougoslavie de Tito et l’Inde de Nehru.

1956 : À la suite du rapprochement de Nasser avec l’Union Soviétique et à sa décision de nationaliser le canal de Suez, la France, la Grande-Bretagne et Israël interviennent militairement contre Egypte. Cela débouche sur la crise de Suez ; échec diplomatique des puissances européennes et succès de Nasser.

1958 : Fondation du Fatah, parti nationaliste palestinien, par Yasser Arafat

1963 : Le parti Baas prend le pouvoir en Irak.

1966 : En Syrie, un coup d’Etat mené par une faction du parti Baas pro-soviétique renverse le gouvernement.

1967 : Guerre des 6 jours qu’Israël mène contre l’Égypte, la Jordanie et la Syrie, et qui aboutit à l’occupation de la bande de Gaza, de la péninsule du Sinaï, du plateau du Golan, de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est. Un nouveau flux de refugiés palestiniens se déverse sur les pays limitrophes, notamment la Jordanie et le Liban.

1970 : Grâce à un nouveau coup d’état, Hafez el-Assad s’empare du pouvoir en Syrie. Mort de Nasser, auquel succède Anouar el-Sadate à la tête de l’Egypte. Vague de terrorisme palestinien et d’assassinats de leaders palestiniens par le Mossad.

1973 : Guerre du Kippour : Israël est attaquée par surprise par l’Egypte, la Syrie et par une coalition arabe, dans le but de reconquérir les territoires perdus en 1967. Malgré les succès rencontrés sur le terrain par les forces arabes, Israël rétablit une situation militaire compromise et gagne la guerre.

1975 : L’attaque de la part de phalangistes libanais d’un bus de palestiniens à Beyrouth déclenche la guerre civile au Liban. Cet évènement résulte des fortes tensions à l'œuvre dans un pays qui abrite environs 350 000 palestiniens pour une population estimée à 2,5 millions d’habitants, et dont le système politique confessionnel - donnant une prépondérance aux maronites - ne reflétait plus la réalité démographique du pays.

1978 : Accords de paix signé à Camp David, aux Etats-Unis par l’Egypte de Sadate et Israël.

1979 : Saddam Hussein accède au pouvoir en Irak. Révolution iranienne contre le Shah et prise de pouvoir de la faction islamique guidée par Khomeini.

1982 : Intervention israélienne au Liban. Massacres des camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila.

1980-1988 : Profitant de la révolution, Saddam Hussein déclenche un conflit frontalier avec l’Iran. Le conflit dure huit ans, fait plus d’un million de morts et se termine sans un vrai vainqueur.

1987 : Première Intifada : soulèvement populaire palestinien dans les territoires occupés contre l’armée israélienne. Fondation de la milice islamiste du Hamas en Palestine.

1989 : Les accords de Taëf mettent fin à la guerre civile libanaise.

1990-2005 : Tutelle syrienne au Liban. Aux premières élections législatives depuis 1972, Rafic Hariri est élu premier ministre et entame la reconstruction du pays.

1991 : L’Irak envahit le Koweït dont il est expulsé par une vaste coalition internationale.

2000 : Après le décès de son père, Bachar el-Assad accède à la présidence syrienne. Retrait de l'armée d'occupation israélienne du sud du Liban sous la pression du Hezbollah, milice chiite qui devient l'une des forces politiques majeures dans le pays. Deuxième Intifada palestinienne après la visite sur l’Esplanade des Mosquées à Jérusalem d’Ariel Sharon, leader de la droite israélienne.

2001 : Election de Georges W. Bush à la présidence américaine et attentats du 11 septembre.

2003 : Deuxième Guerre du Golfe : invasion de l’Irak par une coalition menée par les Etats-Unis qui renverse le régime de Saddam Hussein. Le pouvoir est remis entre les mains d'un gouvernement intérimaire.

2005 : Assassinat du premier ministre Rafic Hariri au Liban. Fortes tensions dans le pays concernant la présence syrienne.

2006 : À la suite d’une série d’affrontements entre les forces du Hezbollah et Tsahal, Israël déclenche des opérations aériennes et terrestres contre le Liban, qui en sera très durement affecté avec la destruction des infrastructures et de son appareil économique.

2004 - 2008 : En Irak, des d'affrontements opposent la milice chiite de l'imam Moqtada Sadr, l'Armée du Mahdi, aux forces américaines et irakiennes, culminant par le siège de Sadr City et l'occupation des lieux saints chiites de Nadjaf. En 2008, la milice chiite dépose les armes et accepte de rentrer dans le jeu politique.

2010-2012 : Printemps arabes : de nombreux pays arabes sont secoués par des contestations populaires contre les régimes.

2011 : Réprimé dans le sang par le régime, le mouvement de contestation populaire en Syrie se transforme en une rébellion armée. Début de la guerre civile.

2012 : L'Etat Islamique commence à s’étendre en Syrie et prend le nom d'État islamique en Irak et au Levant (d’où viennent les acronymes Daesh et ISIS en anglais).

2014 : Proclamation du califat dans les territoires sous le contrôle de l’État islamique sous la direction d’Abou Bakr al-Baghdadi. L’organisation, devenue rivale d'Al-Qaïda, s'étend à plusieurs pays du monde musulman avec l'allégeance de nombreux groupes djihadistes. En Syrie, combats entre les membres de l’EI et les rebelles syriens d’un côté, et les fidèles du régime d’Assad de l’autre.

A partir de 2015 : l'État islamique mène des attentats jusqu'en Europe et en Amérique du Nord.


MARDI 08 décembre
À 14H

Votre conférenciER

Pierre-Jean Luizard est directeur de recherche au CNRS. Historien des islams au Moyen-Orient contemporain, en particulier de l'Irak, de la Syrie et du Liban, il travaille aujourd’hui au sein du Groupe sociétés, religions, laïcités.

À lire pour aller plus loin :


Pierre-Jean Luizard (dir), Le choc colonial et l’islam. Les politiques religieuses des puissances coloniales en terres d’islam, Paris, La Découverte, 2006.

Pierre-Jean Luizard, La formation de l’Irak contemporain, Paris, CNRS Editions, 1991, 2002.

Pierre-Jean Luizard, Comment est né l’Irak moderne, Paris, CNRS Editions, 2009.

Pierre-Jean Luizard, Laïcités autoritaires en terres d’islam, Paris, Fayard, 2008.

Pierre-Jean Luizard, La question irakienne, Paris, Fayard, 2002, 2004.

Xavier Baron, Histoire de la Syrie, Tallandier, 2014

Matthieu Rey, Histoire de la Syrie : XIXe-XXIe siècle, Fayard 2018.

Kamal Salibi, Histoire du Liban : Du XVIIe siècle à nos jours, Naufal, 1997.

Georges Corm, Le Proche-Orient éclaté (1956–2012), Gallimard/Histoire, 2007.