Russifier l’Ukraine : un objectif séculaire
Nombre de partisans de Moscou justifient aujourd’hui l’agression russe en expliquant que l’Ukraine n’est rien d’autre qu’une région russe qu’il est grand temps de ramener à résipiscence.
Présenter les choses ainsi – outre que cela traduit une méconnaissance de la longue et complexe histoire de l’Europe orientale – revient à faire peu de cas des aspirations du peuple ukrainien.
Bien que proche par la culture et la langue du peuple russe, le peuple ukrainien n’en possède pas moins une identité spécifique et distincte de celle de son voisin de l’Est, identité dont la langue est l’un des grands marqueurs.
Or, depuis le XVIIIème siècle, la Russie a mené en Ukraine une politique constante de russification, politique que l’URSS a poursuivi, tout particulièrement sous la conduite de Joseph Staline, après un bref intermède au début des années 20.
Cette entreprise de russification s’est traduite par une lutte opiniâtre contre la langue ukrainienne. Voici une courte liste des mesures prises pour désukrainiser l’Ukraine en faisant disparaître sa langue. En creux, la répétition des ordonnances nous montrent la résistance du peuple ukrainien.
1763 – Décret de Catherine II interdisant l’enseignement en ukrainien à l’Académie Mohyla de Kiev.
1804 – Oukase d’Alexandre Iᵉʳ interdisant l’enseignement en ukrainien dans toutes les écoles de l’Empire.
1863 – Circulaire Valouïev (18 juillet 1863) qui interdit les publications en ukrainien, quel qu’en soit le caractère, religieux ou scolaire.
1864 – Statut scolaire imposant l’enseignement uniquement en russe dans les écoles primaires de l’Empire.
1876 – Oukase d’Ems (30 mai 1876) : interdiction de publier ou d’importer des livres en ukrainien, d’organiser des pièces de théâtre en ukrainien ou d’enseigner en ukrainien.
1881 – Interdiction de l’usage de l’ukrainien lors des sermons religieux orthodoxes.
1884 – Interdiction de toutes les représentations théâtrales en ukrainien dans les provinces d’Ukraine.
1888 – Dans un nouvel oukase, Alexandre III interdit pêle-mêle l’usage de la langue ukrainienne dans les institutions de l’État ainsi que l’octroi de prénoms ukrainiens aux nouveaux-nés.
1910 – Circulaire Stolypine ordonnant la fermeture de toutes les organisations culturelles ukrainiennes et l’interdiction de tout enseignement ou réunion publique en ukrainien.
1914 – Oukase de Nicolas II interdisant de fêter le centenaire de Taras Chevtchenko et suspendant la presse ukrainienne.
Ci-dessus : l’ethnogenèse est un phénomène complexe à fortiori quand la naissance d’un peuple a pour cadre une région disputée entre différents Etats. Les quatre cartes que vous voyez-là ont été publiées (et sont toujours consultables gratuitement en ligne) sur le site des Echos. Elles rapportent le territoire actuel de l’Ukraine à quatre moments-clé de son histoire : celui de la Rous’ de Kiev (ou de la Ruthénie kiévienne), ancêtre commun de la Russie et de l’Ukraine, celui du Grand-duché de Lituanie, celui de la montée en puissance de l’Empire russe, celui – enfin – de l’URSS. Carte : les Echos.