1627, les Barbaresques attaquent l’Islande
Ci-dessus : ce portrait – que l’on doit à une main inconnue – représente Khayr ad-Din Barberousse pacha (1476-1546). Ce Grec, natif de Lesbos, fut l’un des grands capitaines corsaires de Soliman le Législateur.
Commençons par quelques précisions de nature tautologique car – comme le veut la sagesse pataphysique – enfoncer une porte ouverte est moins douloureux que de se cogner la tête contre les murs. Allons-y donc gaillardement cependant que vrombit la rutilante machine d’où lentement coule un noir et fort café dont l’âpreté, d’avance, m’interloque d’un anecdotique petit bonheur quotidien.
Tout comme la Corse, l’Islande est une île. Mais contrairement à la Corse, l’Islande se trouve fort loin des flots bleus et tempérés de notre mer. Plus précisément, le bourg de Vík í Mýrdal, situé à la pointe sud de l’île, se trouve à près de 1 000 km des rivages nord de l’Écosse. Vous l’aurez compris, vue de Bonifacio, de Palerme ou d’Alger, l’Islande se perd dans les brumes du Septentrion.
Quant au terme Barbaresque, il désigne les pirates (ou les corsaires) opérant à partir des ports de l’actuel Maghreb – principalement Alger et Salé – avec la bénédiction du sultan de la Sublime Porte, le ci-devant Commandeur des Croyants.
Bien.
Figurez-vous qu’à l’été de l’an de grâce 1627, cependant que les nations Très Chrétiennes de la vieille Europe s’étripaient avec une funeste application (la guerre de Trente Ans venait alors de débuter), des corsaires d’Afrique du Nord attaquèrent l’Islande : l’épisode – qui stupéfia les insulaires qui se pensaient hors de portée d’une telle menace – est resté dans l’histoire sous le nom de Tyrkjaránið, soit, en VF, « le rapt turc », Turcs désignant ici les sujets – même vaguement nominaux – du potentat précité. Nos hardis Barbaresques frappèrent trois coups successifs en attaquant le cap Reykjanes (le sud-ouest), les fjords de l’Est (Djúpivogur/Berufjörður) ainsi que les îles Vestmann (Vestmannaeyjar).
Les assaillants venaient de Salé (Maroc actuel) et d’Alger. Précisons au passage que les corsaires de Salé obéissaient à Murat Reis le Jeune, lequel n’était autre qu’un renégat néerlandais venu au siècle sous le nom de Jan Janszoon. Par où l’on voit que l’acculturation donne parfois des fruits inattendus.
Environ 400 Islandais (hommes, femmes, enfants) furent enlevés et réduits en esclavage ; des années plus tard, seules quelques dizaines de ces malheureux revinrent au pays après avoir été rachetés.
Deux d’entre eux sont restés célèbres : le pasteur Ólafur Egilsson, qui relata sa captivité dans un ouvrage qui connut en Islande une réelle mais fort brève vogue, ainsi que Guðríður Símonardóttir, dite la Tyrkja-Gudda, laquelle épousa le poète Hallgrímur Pétursson.
Deux choses pour finir.
D’une part, conquêtes, raids et aventures ne sont jamais que des questions de point de vue et les héros des uns sont immanquablement les barbares des autres. En ce sens, les Barbaresques étaient des gens de leur temps, tout comme les conquistadors, par exemple. Ou comme les cosaques qui s’ingéniaient alors à conquérir les immensités sibériennes pour la plus grande gloire du tsar, leur maître, et pour le plus grand profit des marchands, leurs patrons.
Enfin, les puissances européennes – avec l’aide de la jeune démocratie américaine – éradiquèrent les Barbaresques au début du XIXe siècle, la conquête de l’Algérie par les armées françaises achevant la chose.